dimanche 22 novembre 2009

Nuit gravement à la santé publique

Tribune publiée dans Libération, 3 Novembre 2009.

La grippe H1N1 contre laquelle les Français semblent rechigner à se faire vacciner est tout sauf une «grippette»: elle tue avant tout des enfants, des jeunes adultes dont certains en très bonne santé, et fait peser pour l’hiver à venir un risque d’engorgement des hôpitaux. En cela, sa signature épidémique est bien celle d’une grippe pandémique. Pour preuve, les études parues récemment dans des revues scientifiques (Journal of American Medical Association, New England Journal of Medicine). Plus de 90 % des personnes admises en soins intensifs durant l’hiver austral en Australie et en Nouvelle-Zélande étaient âgées de moins de 65 ans, soit exactement l’inverse de ce qui est observé avec la grippe saisonnière.

Dans plus d’un tiers des cas, ces personnes étaient en parfaite santé et ne présentaient aucun facteur de risque. Pour le reste, il s’agissait de personnes souffrant de diabète, d’obésité, de maladies respiratoires (en particulier l’asthme) ou cardiaques, mais aussi de femmes enceintes (9 % des cas). Durant cet hiver austral, l’admission en soins intensifs pour pneumonie virale était quinze fois plus élevée que durant les hivers précédents. Dans l’autre étude, menée dans plusieurs hôpitaux canadiens, l’âge moyen des personnes en soins intensifs était de seulement 32 ans. Près de 30 % d’entre elles étaient des enfants et 17 % sont décédées. Durant le pic de l’épidémie, en juin dernier au Canada, les capacités de traitement ont frôlé la saturation.

Il faut ignorer tout de la complexité des virus grippaux pour tirer des conclusions hâtives sur cette grippe. Tous les spécialistes savent que durant les précédentes pandémies, la première vague était souvent moins sévère que les suivantes, et rien ne permet de prédire comment ce nouveau virus évoluera. Le risque que le virus H1N1 se mélange avec d’autres virus grippaux d’origine animale n’est pas exclu.

La perception de la grippe H1N1 comme une «grippette» est accompagnée d’un autre phénomène : la propagation de rumeurs électroniques qui, mêlant le vrai et le faux, sabotent les stratégies de vaccination élaborées avec soin pour limiter la sévérité de la pandémie. Tout et n’importe quoi est raconté sur la composition des vaccins, les industriels qui les fabriquent et leur processus d’évaluation. Le mot «adjuvant» est devenu à lui seul un mot magique, cristallisant toutes les peurs et tous les fantasmes liés à la vaccination. Ces rumeurs, qui puisent leur inspiration dans un obscurantisme rampant, sont aussi infondées que l’emploi du mot «grippette». Les propager nuit gravement à la santé publique.

mardi 10 novembre 2009

Mingling fact and fiction seriously damages public health

Published in Libération, 3 Novembre 2009.English translation: Catherine Gabel (Gabel Rejder Associés)

The French population is fighting shy of vaccination. But H1N1 influenza, commonly known as swine flu, is not just a bout of seasonal flu: it kills principally children and youth, including some very healthy individuals, and the outbreak poses a risk of overcrowding in hospitals next winter. In this respect, the signature features certainly point to pandemic influenza.

Proof is provided by studies recently published in scientific journals such as The New England Journal of Medicine and JAMA. Contrary to statistics for seasonal flu, more than 90% of patients with H1N1 infection admitted to intensive care units in Australia and New Zealand during the winter were under 65. Over one-third of these individuals were in perfectly good health, with no risk factors. The remainder suffered from diabetes, obesity, cardiac or respiratory diseases (particularly asthma) or were pregnant women (9%). During that southern hemisphere winter, admissions for viral pneumonia were fifteen times higher than in previous winters.

A further study, conducted in Canadian hospitals, revealed that the average age of admissions in intensive care was only 32. Some 30% were children and 17% died. Treatment capacity during the epidemic peak in June 2009 almost reached saturation point in several hospitals.

Drawing too hasty conclusions on the new type of influenza implies being completely in the dark on the complexities of flu viruses. All the specialists know, from previous pandemics, that the initial wave is often less severe than subsequent waves; and there is no way of forecasting how the new virus will evolve. The risk that H1N1 may combine with other influenza viruses of animal origin cannot be ruled out.

Considering swine flu as ‘just a bout of seasonal flu’ provides fertile ground for electronic rumours to spread. By mingling fact and fiction, they sabotage the vaccination strategies implemented to mitigate the pandemic’s severity: people say anything and everything about the composition of the vaccines, the manufacturers who produce them and their evaluation processes. The word ‘adjuvant’ itself has become a magic word, crystallising the current vaccination fantasies.

These rumours, which stem from rampant obscurantism, are as groundless as thinking that this is just a bout of seasonal flu. And spreading them seriously damages public health.